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LE MORNE, Philippe LENOIR

Ajouté le Vendredi 08 juillet à 00:00 par David
Revu le Mardi 04 décembre à 00:00 par David

Cet à article est au sujet de : Le Morne Brabant

Thématique :

Auteur : Philippe LENOIR

Résumé :
Causerie à la SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE L'ILE MAURICE:
LE MORNE
Philippe LENOIR
27 NOVEMBRE 1982

Contenu :
Le Morne ou Morne Brabant – ce dernier mot étant le nom d'une province hollandaise c'est, vous le savez déjà, l'un des hauts lieux de notre île, autant par sa beauté sauvage qui inspira les écrivains et les peintres. Face à la passe de l'Ambulante qui prend son nom du navire qui, lors du cyclone de 1772, fut drossé de Port-Louis pour finir sur les récifs au large du Morne.

Le Morne en effet fut toujours terre d'élevage depuis les temps les plus lointains. Les Hollandais, outre Le Vieux Grand Port et Flacq, avaient quelques petits groupes de colons isolés dans certaines régions tout près d'ici mais non pas sur la péninsule, se trouvait Freeman's Plain – où l'élevage des vaches prospérait assez bien. Lointains débuts de cette tradition d'élevage qu'a su maintenir notre ami Allan Cambier. Avec un magnifique troupeau. Jadis les bêtes erraient dans la nature avec leurs pittoresques petits gardiens.

Un dernier mot sur l'élevage du Morne où beaucoup de planteurs du Sud et de l'Ouest venaient s'approvisionner. Ils arrivaient en voiture ou carriole, en bateau parfois, jusqu'au Morne où Monsieur Keistler leur accordait souvent l'hospitalité d'une nuit et ils repartaient au petit jour, après avoir choisi leurs bêtes.

Ensuite les gardiens accompagnaient les bœufs jusqu'à leur lointaine destination. Quant aux bêtes achetées par Bel Ombre, Edouard Rouillard me disait que, si les eaux de la Rivière de Baie du Cap étaient calmes et basses, on faisait les bêtes passer à gué. Sinon c'était le long chemin par les coteaux de Baie du Cap car il n'y avait ni pont ni radier.
C'était aussi le temps lointain où en certaines saisons les mouches étaient le fléau du Morne, comme elles avaient été l'un des sept fléaux d'Egypte. Rendus fous par le harcèlement de ces insectes, des bœufs prenaient la mer avec une auréole de mouches, et se noyaient. La nuit, racontait Monsieur Cambier, on les voyait en d'énormes grappes agglutinées aux extrémités des branches de filaos. Seuls moments de répit pour les bêtes et les hommes.

Après cette digression sur l'élevage et le pittoresque début du tourisme, venons brièvement à l'histoire : qui vit Le Morne pour la première fois ? Sans doute les navigateurs arabes. Puis les Portugais qui comme leurs prédécesseurs n'y laissèrent pas de trace. Ensuite les Hollandais avec les cinq navires de l'Amiral Harmanz qui en 1601 mouillent près du Morne Brabant ; ils n'emportent point les mêmes souvenirs gastronomiques que leurs descendants qui viendraient au Méridien ! Empoisonnés par des poissons vénéneux qu'ils ont pêché au large – des “bouletangues” ou des “croissants” sans doute – ils appellent Le Morne, Montagne du Poison !!! En 1693 sept hommes battus par la tempête, débarquent d'une frêle embarcation non loin du Morne, ce “gros cap, cet objet brut et confus” comme l'appelle François Leguat, le chef des Huguenots qui avaient fui de Rodrigues. Mais ils voient des vaches dont la vue leur semble plus plaisante que les solides épouses des colons hollandais – ce qui est un compliment pour les vaches mais non pour les Hollandais.

En 1768 Bernardin de Saint Pierre qui est en quelque sorte le premier promoteur du tourisme mauricien, fait le tour de File à pied. Il couche au Morne partie déserte de l'île où il n'y a que deux colons. C'est là où se réfugient les noirs écrit-il nous reviendrons. Monsieur Lenorman est un homme très robuste et Madame Lenorman est jolie. Ils ont cinq enfants et huit noirs. Bernardin remarque le lit conjugal couvert d'une toile sur laquelle une poule couvait les œufs : sous le lit des canards, des pigeons et trois gros chiens près de la porte. Bernardin passe une nuit inquiète dans la cabane voisine . Mes armes en état car cet endroit est environné de noirs marrons.

En 1803, Milbert, peintre, embarqué sur la corvette Le Géographe, séjourne à file de France dont il nous laisse un album de ravissantes lithographies. Il fait l'ascension du Morne je n'atteignais qu'avec des peines incroyables le plateau du Morne Brabant : il me fallut beaucoup de sang-froid.

En 1865 Nicholas Pike, naturaliste et consul américain à Maurice, auteur de Subtropical Rambles in The Land of the Aphanapteryx, s'attaque au Morne : Je pense que l'ascension du Morne, écrit-il, est aussi dangereuse et fatigante que celle du Pieter Both.

Mais le Vieux Morne connaissait déjà des alpinistes plus agiles : les noirs marrons. Ces hors-la loi qui dès le début de la colonisation vivaient au cœur des forêts et des montagnes d'où ils descendaient pour attaquer les plantations isolées, incendiant les maisons et massacrant les colons. Il y avait aussi des femmes dans ces bandes sauvages et des chefs impitoyables qui dit-on, faisaient étrangler les nouveau-nés pour que leurs vagissements ne trahissent pas leur présence! L'on dit qu'à l'abolition de l'esclavage en 1835 un détachement chargé de découvrir les noirs pour apporter la bonne nouvelle, réussit à prendre pied sur le plateau du Morne par la frêle passerelle que constituait un gros tronc d'arbre jeté sur la faille des rochers. Croyant leur retraite forcée et redoutant les pires châtiments, les marrons se précipitèrent du haut des falaises pour s'écraser sur les rochers. Histoire – ou légende ? Qui se rattache à la version donnée par Bernardin de St Pierre au sujet des 40 marrons qui 65 ans plus tôt se jetèrent dans le vide pour échapper à leurs poursuivants.

Le Morne Brabant, écrit un autre voyageur, Wilkinsky, est rempli de belles forêts qui sont les réserves du Roy. Ce quartier est rempli de cerfs et de gibier. Il parle aussi du refuge que constitue le plateau de la montagne pour les marrons et rend hommage à la bravoure d'une femme d'un des rares colons qui décide de les attaquer avec ses fils et des noirs fidèles. Le gouverneur récompense son courage en lui donnant cent livres par tête de marron. A la tête de son commando, elle devient la terreur de ces bandes.

Le premier concessionnaire du Morne fut Lenormand. Une vingtaine de propriétaires jusqu'à nos jours. Au milieu du siècle dernier la canne à sucre est cultivée et bientôt on construit une petite usine dont le destin fut éphémère puisqu'elle ferma ses portes, nous dit Guy Rouillard, en 1865. La canne va bientôt disparaître. Mais l'élevage, les petites cultures dont le maïs, le charbon de bois, font vivre une petite population qui, longtemps coupée du reste de l'île par le manque de bonnes voies de communications, conservera longtemps et même jusqu'aujourd'hui, un type spécial. “Ces zensses Morne”, gens du Morne, presque exclusivement de type africain, peut-être descendants de ces marrons qui erraient dans les montagnes. C'est au Morne que le séga primitif s'est longtemps maintenu en contraste avec le séga touristique. Les habitants dansaient pour le plaisir et non pour les touristes. Je me souviens de la traversée que je fis jadis sur un de ces côtiers de sucre de Bel Ombre, aujourd'hui hélas disparus et qui pendant la nuit avait dérivé près des récifs, dans le silence d'une merveilleuse nuit étoilée où nous parvenait par bouffées, avec la brise, le rythme du séga avec tambours et ravanes ! « <i>Zensses Morne apé dansé, dit le patron du côtier. Ti lambic a pé coulé </i>!» Le « tilambic » fut et demeure peut-être aujourd'hui, l'une des petites industries des montagnes du Morne du “lé temps longtemps” comme le disent pittoresquement nos vieux habitants. De ce “temps margoze” pourtant si proche encore qui avait ses amertumes et ses douceurs.
Mais vous allez peut-être me demander, au pied du Morne où nous nous trouvons ce soir, une description du plateau où se réfugiaient les marrons, à quelque 1800 pieds. Une vaste cuvette au pied de la montagne. Des oiseaux, des singes qui doivent s'y balader sans les craintes des autres voyageurs ! Guy Rouillard y est allé ! Moi jamais. Nous avions un soir couché au Morne pour en faire l'ascension au petit matin : J'étais avec deux amis, Jean Montocchio et Jacques Koenig, sous une petite tente qui ployait sous les rafales du vent et de la pluie, tout au bord de la plage battue par une mer déchaînée.

Nous n'étions pas très rassurés car nous avions croisé une compagnie de KAR [King's African Rifles de l'armée britannique] – les Zoulous, comme on les appelait à Maurice – et où se trouvait peut-être ce soir la le sanguinaire Amin Dada qui, comme vous le savez, avait servi comme sergent à Maurice.

Nous étions assis à même l'herbe devant une modeste boite de corned beef qui n'avait pas les attraits du bon repas que nous allons faire tout à l'heure à la Bonne Chute, lorsqu'un sourd grondement se fit entendre et nous eûmes l'impression de sentir le sol vibrer sous notre séant. On se regarda vaguement inquiets. Et l'un de nous dit : Ça doit être les Zoulous qui s'entraînent au tir de mortier la nuit, Il fallait bien trouver une explication. Même si elle était insuffisante! Le lendemain, dimanche, il faisait beau et nous rencontrâmes Monsieur Cambier à la petite chapelle du Morne. Il nous dit « Alors ? Comment avez vous passé ce tremblement de terre ? Vous n'aviez pas d'assiettes accrochées aux murs de votre tente... »

C'est ainsi que nous apprîmes que l’île avait subi un petit tremblement de terre qui avait même cassé quelques assiettes par-ci par-là. Évoquant les possibilités d'un éboulis, Monsieur Cambier nous déconseilla fortement de faire l'ascension du Morne dont le plateau, pour nous au moins, conserve tous ses secrets.

Les KAR firent parler d'eux peu après : trois d'entre eux décidèrent un soir d'enlever la femme du gardien. Mal leur prit : l'un d'eux mourut d'une décharge de calibre 16 en pleine poitrine. C'est ainsi que cessèrent les grandes manœuvres militaires des Zoulous au Morne. Elles avaient fait une seule victime. Mais la vertu de la femme du gardien était sauve !

En octobre 1964, Le Morne connut une apothéose avec la célèbre Nuit du Séga : on y donna Kelibé Keliba, de Marcel Gabon, des danses, une merveilleuse rétrospective de certains événements de notre histoire, Bernard Boullé lut un poème sur le Morne. Un magnifique feu d'artifice éclaira la mer et la montagne pour clôturer le spectacle.
Et le Vieux Morne qui nous avait charmé de ses sortilèges, retrouva le calme et le silence d'où le tira bientôt l'implantation de deux beaux hôtels dans un cadre incomparable.

Commentaires :

Un commentaire a été écrit sur cet article.
commentsPar nancy le 2015-03-29 15:29:56
magnifique article de M Lenoir, mes anciens me racontaieni tant d'anecdotes sur cette partie de l'île etj'ai eu le plaisir de voir ce rocher du Morne Brabant.... tant de souvenirs...